« Je suis actuellement en route pour le tribunal de grande instance de Lyon.
J’y serai jugé dans quelques heures pour reconstitution de ligue dissoute et risque 7 ans de prison ferme, une amende colossale, la perte de mes droits civils, civiques et de famille, et même l’interdiction du territoire français… « Crimes et délits contre la nation, l'Etat et la paix publique », qu’ils disent.
Dans le même temps à la radio, des journalistes sont en train d’organiser un comité de soutien pour une « française » partie faire le jihad en Irak et qui risque d’être condamnée.
Sans commentaire.
J’ai préparé ma défense. J’ai lu et relu l’immense dossier monté par le parquet antiterroriste de Paris sur près de deux années après notre interdiction. Des milliers d’analyses sur mon téléphone, des recherches sur les comptes bancaires, des recoupements avec les positions GPS, des planques et des filatures avec un relevé minuté de nos faits et gestes… « 13h45 – Plusieurs personnes sortent successivement pour aller chercher du pain. » Putain, ça bosse dur à l’antiterrorisme…
Des photos aussi, beaucoup de photos. Prises depuis des points hauts, depuis les bois, avec des caméras cachées, depuis des véhicules… Ils ont mis le paquet. Lorsqu’ils n’arrivent pas à avoir quelqu’un en photo sur le vif, ils ajoutent une photo piquée sur les réseaux sociaux ou bien vont directement chercher dans la base de données des cartes d’identité ou permis de conduire. Vivement le fichage ADN pour tous !
Toute ma vie durant cette période est dans ce dossier. Où je dors, où je travaille, où je mange, quels sont mes loisirs. Quel modèle de téléphone à quel moment, quel modèle de voiture, quelle personne me contacte le plus, par sms, par appel ou en direct. Mes trajets, mes billets de train ou d’avion, mon modèle de serrure, qui sont mes parents, mon employeur, des photos de ma femme, de mes amis…
Des centaines de pages où l’on peut voir les casiers judiciaires des gens que je fréquente, leur employeur, les faits dont la justice les soupçonnes d’êtres auteurs, et ceux - beaucoup plus intrusif et gênant à lire - dont ils ont été les victimes.
Ils ont bien préparé leur sujet. « La république gouverne mal, mais se défend bien », disait Maurras…
Je me prépare donc à me défendre, ou plutôt à observer la grande mascarade de cet après-midi. J’ai mis mon beau costume, celui que je mets aussi pour les enterrements. J’essaie d’imaginer les questions des juges, du procureur. Des médias aussi, ils seront évidemment nombreux pour couvrir l’évènement.
Mais grâce à tout cela, pendant que je lis ce dossier en silence, je me souviens.
Je me souviens de ces flics zélés, du hurlement des gyrophares, du fracas des matraques, des brûlures de lacrymos, du vrombissement d’un hélicoptère, des interpellations. Le métal des menottes sur nos poignets, la fouille à nu, le bruit du verrou de la cellule, les hurlements, le froid, la saleté et la puanteur. Les perquisitions chez nous ou dans nos familles. Leurs cagoules, les nôtres…
Je me souviens de nos manifestations. Des milliers de collages, de tractages, de déplacements. De nos empoignades viriles par les avant-bras avant le départ d’une action coup de poing dont on ne connaît pas encore l’issue. D’Houria Bouteldja qui prend la fuite en plein cœur du Mirail à Toulouse. Du député Erwann Binet qui annule toutes ses réunions dans le pays suite à notre incursion sur – oui, « sur » - son bureau. De nos occupations, de nos conférences, de nos procès…
Je me souviens aussi et surtout de ces rencontres extraordinaires, de ces jeunes insoumis désintéressés et prêts à risquer leur vie pour la cause. Des interrogatoires où l’on se retient d’éclater de rire, pourtant en fâcheuse posture. De nos chants qui résonnent dans les sous-sols du commissariat. Du moment où l’on se recroise, déjà détenus depuis des jours, dans un couloir de la souricière. Tenus comme des chiens en laisse par les gendarmes, ce sourire, cette promesse d’un bon repas dès la sortie. Ces retrouvailles après 6 mois sans avoir pu échanger un seul mot.
Ces nuits noires, nos chants d’Europe autour du feu, nos corps éprouvés par de longues marches…
La plus belle des victoires est là : à travers l’idéal et le combat, nous sommes devenus une famille.
Nos femmes, les parrains et marraines de nos enfants, des amitiés à vie, et même certaines vocations religieuses ont eu comme point de départ notre présumé « groupe de combat » aujourd’hui dissous. C’est peut-être pour cela que le système a tant de mal à nous détruire malgré ses moyens colossaux. Ils sont incapables de comprendre ce qui nous anime.
Au final, ce que l’on nous reproche est probablement plus notre insoumission, notre soif de liberté et d’indépendance que des violations du code pénal.
Nous sommes des hommes libres. On ne peut pas mieux résumer. Nous sommes en mesure de dire ce que l’on veut, sur le sujet que l’on veut. Sans convenances, sans calcul politicien, sans stratégie de dédiabolisation, sans peur de perdre un emploi, une femme ou des amis. C’est tellement rare même au sein de notre famille de pensée qui hésite aujourd’hui à citer tel ou tel auteur parce que cela pourrait être mal interprété ou simplement « déplaire ».
« Ce sont les coiffeurs de la vie qui tiennent beaucoup à plaire, les putains. Plus on est haï, je trouve, plus on est tranquille… Ça simplifie les choses » écrivait Céline...
Je me rappelle d’un commissaire qui me questionnait en me ramenant à ma cellule :
« Mais pourquoi vous prenez des risques pareils ? Vous allez vous détruire socialement ! En plus contrairement à d’autres, lorsqu’on voit vos profils… Des pères de famille, avec un bon salaire, intelligents, bonne gueule… Bref pas des marginaux ! En plus ce n’est même pas pour du fric.»
Je n’avais pas répondu cette nuit-là. Ce type n’était de toute manière - comme la plupart de nos contemporains - pas en mesure de comprendre que l’on puisse se sacrifier « socialement » (et même physiquement) pour autre chose que le pognon.
Il est bientôt l’heure. Nos voitures arrivent devant le palais, conduites par des camarades avec qui je milite depuis près de 15 ans. Je reçois des messages de soutien des 4 coins de la France d’amis et d’anonymes qui n’ont pas pu faire le déplacement. Je vois que les CRS, les renseignements et les journalopes sont déjà à leur poste à l’entrée.
« Fais ce que dois, advienne que pourra » Une grande respiration à plein poumons, c’est parti nous rentrons dans l’arène, sans épée et avec un maigre bouclier, mais la tête droite, le cœur pur et le regard plein de défi avec à l’esprit deux devises : « Courage, on les aura » et « Me ne frego ».
Priez pour nous et surtout pour la France. »